Mystère à Châtellerault

C’était en automne, nous étions en confinement saison 2, et les feuilles d’attestation se ramassaient toujours à la pelle, quelques masques aussi. Notre chasseur d’images s’était levé de bon matin, au chant du coq. Après s’être couvert le minois d’un masque, désinfecté les mains au GHAB (Gel Hydro Alcoolique Bio), muni de l’attestation ad hoc sur papier recyclé, il était parti gaillardement dans la limite du kilomètre gouvernemental et des soixante minutes tolérées, vers les bords de Vienne avec son appareil photo, le zoom déjà armé, prêt à saisir le moindre détail des plumes du  premier moineau qui se présenterait. Le temps étant compté, la distance restreinte, c’est donc au pas de charge qu’il franchit le pont Camille de Hogues, puis parcourt à grandes enjambées les  allées de la Manu, longe le canal pour aller rejoindre son endroit préféré : le calme et bucolique confluent de la Vienne et de l’Envigne où il va pouvoir exercer son art photographique.
Mais là, quelle surprise, aucun gazouillis ! Nul volatile à l’horizon, pas la plus petite aigrette garzette posée sur le tapis flottant de jussie rampante, et pas un oiseau sur la Vienne non plus ! Sur les branches, pas la moindre mésange bleue avec son petit gilet jaune que notre chasseur affectionne tant. Même Martin le pêcheur, son fidèle compagnon de prises de vues, est absent. Il n’y a plus personne pour pêcher le gardon ou chasser dans la vase : avant c’était open bar, désormais ça ressemble à une fermeture administrative ! Le photographe se déplace le cœur battant, observe les quais, les arbres, le barrage, même le ciel est vide, pas de zoziaux… Notre chasseur n’en croit pas ses lunettes, il les retire, les essuie, se dit qu’elles se sont certainement embuées à cause de ce fichu masque en tissu lavable vingt fois, pourtant amoureusement confectionné par sa tendre épouse entre deux parties de bridge. Ah ! Si seulement il avait pu s’offrir un FFP2 avec sa précieuse cartouche filtrante ! Il faut se rendre à l’évidence, les lunettes vont bien, les yeux aussi, mais tous les oiseaux ont disparu ! Il se dit qu’ils auraient pu le prévenir, juste une petite missive portée par un pigeon voyageur, voire une lettre anonyme, les corbeaux sont experts en ce domaine.
Après tout, même si l’horaire était un peu matinal, ils auraient pu lui proposer – sous dérogation – un Skype apéro ou un Face Time sur WhatsApp pour partager quelques graines salées avec un jus de houblon frais et mousseux.
Se seraient-ils eux-mêmes confinés après avoir entendu l’impressionnante voix de stentor du premier de nos ministres ? Notre chasseur court alors vers le pigeonnier en bois du bord de Vienne, hèle la gent ailée, frappe contre les planches… Point de réponse. Si c’est une farce, il sait qui en est le dindon. S’il trouve le responsable de cette mauvaise plaisanterie, il va lui voler dans les plumes, et ils vont échanger quelques noms d’oiseaux ! Il comprend alors qu’il s’est fait pigeonner ! Il s’inquiète toutefois de leur santé, se seraient-ils contaminés les uns les autres ? Le héron cendré aurait-il perdu le goût du poisson et l’odorat pour rechercher les vermisseaux dans la vasière ? Il se demande si une aigrette imprudente et étourdie n’aurait pas éternué dans un transport en commun, en oubliant de mettre son bec dans le creux de son aile ? Les choucas auraient-ils oublié la distanciation aviaire ? Pourtant, ils le savent qu’il faut respecter le mètre. Lemaître aussi d’ailleurs !
Les cormorans se seraient-ils perchés à plus de six pour prendre leur repas de poissons dans leur arbre préféré sur les quais ? Les mouettes auraient-elles négligé de se rincer les palmes avec du gel hydro alcoolique ? Pourtant, le panneau du point d’information tout proche rue Jean Monnet précise bien les gestes barrières à respecter !
Dans le doute, il saisit son téléphone pour vérifier sur les réseaux sociaux si quelque volatile syndiqué n’aurait pas appelé à une manifestation devant la mairie, à quelque transhumance vers une autre zone humide réputée sans virus… mais rien, pas le moindre commentaire, ni tweet, ni like sur le sujet. Inquiet en cette période anxiogène, il songe à contacter la gendarmerie pour déclencher le plan épervier.
Il espère cependant que ses chers oiseaux ont bien activé « TousAntiCovid » sur leur portable. Il va sur le site du ministère de l’Environnement pour voir si quelque directive d’un érudit énarque bobo parisien aurait interdit les abords de rivière à ses volatiles préférés. Barbara n’a rien écrit, Nicolas le mulot non plus. Fichtre ! Mais qu’est-ce donc que cette désertion ? Il finit par émettre plusieurs hypothèses : tous ses amis ailés s’étaient peut-être réunis à quelques tirées d’aile d’ici, et puis tombe l’improbable message gouvernemental qui les bloque là où ils sont, sans doute bien au-delà de ce kilomètre réglementaire. Mais ils pourraient aller sur le site gouv.fr, imprimer une attestation, la remplir en deux coups de plume et revenir ici en cochant la case dérogatoire « satisfaire ses besoins alimentaires » ! Il se dit que ses oiseaux ne sont pas des contrevenants prêts à sortir en dehors du respect des règles sanitaires vétérinaires.

Pas le genre de délinquants qui pourraient être verbalisés de 135 grammes de graines pour ne pas avoir rempli leur attestation ou avoir négligemment porté le masque sous le bec. Peut-être que l’un d’entre eux a volé jusqu’au parc du Verger pour se faire introduire, en faisant la grimace, un écouvillon au fond du bec, et si le résultat fut positif tous ses congénères se sont retrouvés cas-contact isolés en quatorzaine dans leur nichoir ! Il réfléchit et se dit qu’ils sont peut-être rentrés chez eux pour faire du télétravail sur la table du salon tout en gardant leurs petits. Ou alors ils sont allés remplir un caddie de pâtes et de papier toilette.
Il pense surtout à ses publications et se dit que c’est le chant du cygne pour la suite de sa série d’articles sur les oiseaux. Ah ! S’il osait, il appellerait bien Raoul, le professeur pour savoir si tous ces vilains petits canards n’auraient pas effectué un rapide vol aller – retour en escadrille jusqu’à Marseille pour quérir, à titre préventif, quelques boîtes d’hydroxy chloroquine. Il pense même à contacter l’Agence Régionale de Santé afin de vérifier si la région n’a pas été placée dans un confinement aviaire renforcé.
Une sonnerie retentit, notre chasseur d’images tend le bras et arrête le bruit strident sur sa table de nuit… Il se réveille haletant, après un affreux cauchemar, et reprend ses esprits. Il est soulagé, ce n’était qu’un mauvais rêve, il va donc pouvoir de nouveau rejoindre les bords de Vienne et retrouver ses chers amis. Dans quelques jours il pourra reprendre… la plume pour nous rédiger un nouvel épisode du chasseur d’images confiné. C’est vrai qu’en la matière il est le maître…
Jacques Dufour. novembre 2020

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